On utilisera dans cet article le mot compensation carbone. Cependant, ce terme est de plus en plus critiqué à cause de l'imaginaire trompeur qu'il renvoie. La sémantique évolue et tend à parler de contribution à la neutralité carbone des territoires.
Qu’est-ce que la compensation carbone ?
Aux origines du concept : le marché carbone réglementé pour les États
Le concept de crédits carbone est né du processus de négociation qui a conduit à l'adoption du protocole de Kyoto en 1997. Ce protocole obligeait les 37 pays à s'engager à atteindre des objectifs de limitation ou de réduction de leurs émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Afin d'aider les pays industrialisés à atteindre les objectifs de réduction, plusieurs mécanismes ont été mis en place, dont l’échange internationnal des droits d’émissions.
L'échange international de droits d'émission permettait aux États de compenser une partie de leurs émissions en investissant dans des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans d'autres pays. On parle ici du marché carbone réglementé.
La compensation carbone volontaire, ou le marché volontaire du carbone pour les entreprises
Au fil du temps, les crédits carbone sont devenus un outil important pour les entreprises et autres acteurs cherchant à compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre. La compensation carbone volontaire a connu une croissance rapide ces dernières années, les entreprises achetant des crédits carbone pour compenser leur empreinte carbone sur un périmètre donné pour revendiquer une “neutralité carbone”.
Les crédits carbone sont émis par des projets qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre ou séquestrent le dioxyde de carbone. Un crédit carbone équivaut à un nombre de tonnes de réduction des émissions de dioxyde de carbone. Les crédits de carbone sont achetés et vendus sur les marchés du carbone. Si vous souhaitez creuser le fonctionnement du crédit carbone et des marchés, c’est par ici.
Compensation carbone vs contribution à la neutralité carbone
Le terme « contribution à la neutralité carbone » désigne généralement toute mesure prise par une entreprise pour atténuer ou prévenir les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à son activité. La contribution à la neutralité carbone d'une entreprise comprend toutes les réductions d'émissions réalisées grâce à des émissions évitées, une efficacité accrue et/ou l'utilisation d'énergies renouvelables, ou le recours à la compensation carbone volontaire.
La compensation carbone est un type de contribution à la neutralité carbone. Les compensations carbone sont des crédits qui peuvent être achetés par une entreprise pour « neutraliser » ses propres émissions.
Par exemple, si une entreprise émet une quantité équivalente à 1 000 tonnes de CO2 par an, elle peut acheter 1 000 compensations de carbone pour “neutraliser” ses émissions.
La compensation carbone comme opération comptable négative est interdite dans les systèmes de reporting de référence, car elle laisse penser qu’une activité économique neutre en carbone n’a pas d’impact sur le climat.
En réalité, toute entreprise ou produit qui émet une quantité de dioxyde de carbone (CO2) - même si elle compense ses émissions - contribue au changement climatique. Aujourd’hui, la tendance est de contribuer à la neutralité carbone d’un territoire.
Comment compenser les émissions de CO2 d’une entreprise ?
Mesurer, réduite, contribuer : les trois piliers du Zéro Émission Net
Mesurer
Cela consiste à mesurer les émissions de CO2 générées par l’activité d’une entreprise. Il existe plusieurs méthodes pour mesurer son empreinte de CO₂, comme la méthode Bilan Carbone de l’ADEME ou le GHG Protocole, son équivalent international.
Pour en savoir plus sur le bilan carbone d’une entreprise, vous pouvez lire cet article.
Réduire
La mesure des émissions doit d’abord servir à la mise en place d’un plan d’action détaillé, avec un impact sur les émissions quantifiables, et des échéances de réalisation à court et moyen terme. Il s’agit du critère numéro un pour obtenir des certifications ou des labels internationaux reconnus, comme Science Based Target ou le Carbon Disclosure Project.
Contribuer
Une fois que l’entreprise a mis en place un plan d’action détaillé pour réduire les émissions de CO₂, elle peut contribuer à la neutralité carbone en achetant des crédits carbones sur différents types de projets de compensation carbone.
Recourir à cette stratégie sans chercher à réduire son empreinte carbone est fortement critiquable pour deux raisons :
- Si aucune action pour réduire n’est mise en place, les émissions continueront d’augmenter indéfiniment. Les projets de compensation carbone, aujourd’hui principalement fondés sur la restauration de puits de carbone, ne pourront pas couvrir la totalité des émissions.
- Les projets de capture par la restauration de forêts ou zones humides ont des effets étalés dans le temps. Les scénarios les plus optimistes pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré nécessitent une réduction des émissions dans l’immédiat.
Quels types de projets de compensation carbone choisir et à quel montant ?
Les différents types de projets de compensation carbone
Il existe différents types de projets compensation carbone :
- Les contributions à la réduction d’autres acteurs, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de réduction ;
- Les contributions au développement des puits de carbone mondiaux, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de séquestration.
Une stratégie d’entreprise ambitieuse considère ces deux approches séparément, mais comme complémentaires.
Certains projets de lois débattus tendent à contraindre les entreprises à tenir une comptabilité séparée des émissions de CO2, des contributions de réduction et des contributions de séquestration.
Les gages de qualités
Plusieurs labels de projets de compensation carbone garantissent que le ou les projets financés répondent à des normes et des critères internationaux.
Le Verified Carbon Standard (VCS) est l'une des normes de compensation carbone les plus utilisées. Pour obtenir le label VCS, un projet doit respecter un ensemble rigoureux d'exigences définies par une tierce partie indépendante. Ces exigences couvrent tous les aspects, de la gestion du projet à la mesure des réductions de carbone.
Gold Standard, label reconnu, reprend les exigences du VCS, mais s'assure également que les réductions de carbone sont additionnelles (c'est-à-dire qu'elles n'auraient pas eu lieu sans le projet) et que les bénéfices du projet vont aux communautés locales. Certains opérateurs vendent, en effet, de la “compensation carbone” qui n’est en fait que de l’investissement financier dans les forêts.
Si la plupart des projets de compensation carbone sont situés dans les pays en voie de développement, de plus en plus de projets voient le jour dans les pays industrialisés, comme en France avec le développement du label bas-carbone.
Quel est le prix moyen de la tonne de CO2 ?
Le cours de la tonne de CO2 a récemment augmenté en Europe, atteignant des prix proches de 80 €. Cependant, pour la compensation carbone volontaire, aucun prix règlementé ne s'applique. Les prix peuvent donc varier, allant de 5 € à 150 € la tonne de CO2.
Quelles sont les limites de la compensation carbone ?
Si ce mécanisme est en soit vertueux comme levier de financement pour financer des solutions qui répondent à un enjeu climatique, son utilisation abusive et l’idée qu’elle sous-tend ont dégradé sa réputation. Des acteurs, comme Carbone 4, critiquent avant son utilisation par les entreprises pour se substituer aux efforts de réduction, principal levier face à l’urgence.
La compensation à l’instant T n’existe pas
L'achat de crédits de carbone dans le cadre d'un projet forestier peut contribuer à la séquestration des gaz à effet de serre, mais ce processus se déroule pendant la croissance des arbres, qui dure des décennies. En outre, rien ne garantit que le carbone stocké le restera, car les forêts sont vulnérables à des facteurs tels que les incendies, les maladies et la déforestation.
Réduire d’abord
La réduction de ses propres émissions ou des émissions liées à la chaîne de valeur de l’entreprise a un effet immédiat qui répond à l’urgence climatique. Elle constitue l’une des exigences principales pour l’obtention des labels mondialement reconnus comme le Science Based Target ou le Carbon Disclosure Project.
De la compensation à la contribution
Les organismes de références et des acteurs comme Carbone 4 militent activement pour passer d’une logique de “possession” des réductions à une logique de “contribution” aux réductions.
Jusqu’ici, les marchés volontaires du carbone étaient utilisés comme une manière de compenser ses émissions afin d’atteindre un statut « neutre en carbone » à sa propre échelle. Aujourd’hui, cette vision hors sol, déconnectée de l’objectif de neutralité des territoires, devient caduque, génératrice de peu d’avantages concurrentiels, et de plus en plus remise en question par l’opinion publique. Pour redonner ses lettres de noblesse à la compensation, il s’agirait de reconsidérer les marchés volontaires du carbone comme ce qu’ils ont toujours été : des instruments efficaces de stimulation de l’action vers l’atteinte d’un net zéro territorial.
Quelles sont les perspectives pour la compensation carbone ?
L'utilisation du terme « neutre en carbone » est encadrée par la loi
Le Code de l'environnement interdit la publicité qui prétend qu'un produit est « neutre en carbone », sauf si l'entreprise peut démontrer une véritable démarche de limitation des émissions de GES et de compensation des émissions qui ne peuvent être évitées (C. env., art. L. 229-68 créé par la loi climat et résilience d'août 2021).
Le texte d'application de l'interdiction des allégations de « neutralité carbone » a été publié mi-avril et s'appliquera à toutes les publicités diffusées à partir du 1ᵉʳ janvier 2023 (décret n° 2022-539 du 13 avril 2022).
Conformément à l'avis sur la neutralité carbone émis en juillet 2021 par l'ADEME, la France entend exiger des entreprises des actions positives pour limiter les émissions de GES. Cette interdiction est un moyen de faire respecter cette exigence.
Les recommandations de l'ADEME
En février 2022, l'ADEME a publié des recommandations à destination des professionnels, notamment dans le domaine de la communication et du marketing. Ces recommandations s'adressent aux professionnels voulant valoriser les engagements de leur entreprise dans la lutte contre le changement climatique.
Elle fournit des exemples de formulations à éviter (« zéro empreinte carbone », « un produit acheté, un arbre planté » ou faisant référence à la compensation carbone de manière générique). Elle fournit aussi des exemples de formulations recommandées (allégations accompagnées d'éléments précis permettant d'apprécier la portée de la démarche de l'entreprise en faveur de la neutralité carbone).
L'étude contient une synthèse des différents niveaux d'ambition pouvant être affichés selon les cas (simple affichage d'ambition sans réel engagement, ambition modérée avec quelques mesures concrètes, ambition avancée avec des objectifs ambitieux et des mesures de grande ampleur).
Enfin, il détaille une série de bonnes pratiques en matière de réduction de l'empreinte carbone, de développement durable et de greenwashing.
Voir la lettre d'information de l'ADEME ici.
Ce que suggère l'accord de Paris
L'Accord de Paris, qui renforce les engagements des pays en matière de développement durable, expose une vision de l'avenir des marchés mondiaux du carbone. Il stipule que les pays hôtes seront les seules entités habilitées à revendiquer la propriété des réductions d'émissions réalisées par des projets à l'intérieur de leurs frontières.
Cette position représente une rupture importante avec l'état actuel. Actuellement, les crédits carbone générés par des projets dans les pays en développement sont souvent vendus à des acheteurs dans les pays développés, qui les utilisent ensuite pour compenser leurs propres émissions.
Ce processus a été critiqué pour diverses raisons, notamment parce qu'il peut créer des incitations perverses pour que les pays développés renoncent à leur responsabilité en matière de réduction des émissions.
La nouvelle position définie dans l'accord de Paris contribue à répondre à ces préoccupations en garantissant que les avantages des projets de compensation carbone des émissions de carbone reviennent uniquement aux pays où ils sont situés. En outre, elle inciterait davantage les pays développés à financer et à soutenir des projets locaux, puisqu'ils seraient les seuls à pouvoir bénéficier de leurs résultats. Cette position est non seulement conforme aux objectifs de l'accord de Paris, mais elle représente également une approche raisonnable et pragmatique de la compensation carbone.
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